lundi 4 septembre 2023

Marie Dagorne (1865-1923), institutrice à Dinan


Marie Dagorne est née le 9 mai 1865 à Pléhérel (22). Elle obtient son Certificat d'Aptitude le 23 mai 1890.
 
Elle commence sa carrière comme directrice au Haut-Corlay puis à Yvignac avant de prendre la direction  de l’école maternelle de Dinan, rue de la Garaye, en 1903.
Elle devient ainsi la première institutrice de l’école maternelle de Dinan au moment de la laïcisation en 1903. 
 
Elle était très bien notée par ses supérieurs et sera récompensée par de nombreuses distinctions : médaille de Bronze de l'enseignement (1905), médaille d'argent (1916), Officier d'Académie (1919). Elle fut pressentie pour le Prix Pape-Carpentier décerné aux meilleures institutrices de la France entière. 


Elle a fait don de sa personne pour la cause des enfants.
 
 
 
Mme Dagorne, directrice d'un orphelinat en 1914
 
Son rôle pendant la période de la guerre 14-18 a été remarquable. L’école maternelle est alors transformée en crèche, ouverte 24h sur 24 pour les orphelins de guerre. 
 

Cet épisode rappelle que Dinan fut une terre d'accueil pour les réfugiés et la crèche, un lieu de protection pour les orphelins.

 


Dès le 4 août, le Maire informe l'Inspecteur qu'il a l'intention « d'installer à l'école maternelle une crèche pour recueillir les enfants des pères partis à la guerre et dont les mères iront aider à faire les moissons dans les campagnes ».

Pendant ce temps, la directrice de l'école maternelle, Mlle Dagorne, prend en charge l'organisation de tout le nécessaire pour mettre en place, le moment venu, cette crèche. Les enfants concernés ne manquent pas et beaucoup deviendront des orphelins de guerre. Enfants de Dinan ou de réfugiés, leur sort est le même.

Mlle Dagorne commence donc à noter, le 6 août 1914, sur un cahier les différents dons et prêts des dinannais en vue de l'ouverture imminente de ce lieu. L'inventaire est exhaustif. On y trouve bien entendu l'indispensable : lits, matelas, berceaux,  draps,  couvertures, édredons, traversins, oreillers... Des dons utiles sont aussi répertoriés, mais leur énumération forme un curieux ensemble: un bain de pieds, un moïse, trois vases de nuit, des jouets, une voiture d'enfants, un lapin de 2 kilos 200, un panier de poires pour compotes, 20 madeleines, 3 sacs de charbon...


Archives municipales de Dinan. Photo RF

En ce début du mois d'août 1914, le Conseil municipal poursuit ses demandes officielles d'autorisations aux différentes autorités (Préfecture, Inspecteur d'Académie...) pour concrétiser son projet de crèche. 

La direction sera assurée par le docteur Ollivier. 

La directrice de l'école maternelle de la rue de La Garaye, Mlle Marie Dagorne, en sera la cheville ouvrière. Elle transforme la plus grande salle de la maternelle pour en faire la nouvelle et unique maison de ces enfants.

Le samedi soir, 15 août 1914, l'inspecteur primaire rend compte à l'adjoint au maire de ce qu'il a vu sur place : « L'institutrice de service était à son poste et le personnel attaché à la crèche n'était pas très encombré. Il en sera vraisemblablement ainsi demain. J'ai relevé dans les 47 inscrits, les noms des 12 enfants âgés de plus de 6 ans...

Comme il n'y a que 4 garçons, je les laisse sous la surveillance de l'institutrice ; si le nombre en devient assez grand j'aurai recours aux instituteurs... ». 

La veille, l'Inspecteur avait indiqué au Maire qu'un roulement était organisé pour qu'une institutrice soit toujours présente de 7 h du matin à 6 h du soir.

 

Dans un rapport adressé au Maire, l'institutrice indiquera plus tard le nombre d'enfants admis et nourris à la Crèche

Août- 65 enfants : 18 couchent la nuit ; Septembre- 47 enfants : 14 couchent la nuit ; Octobre- 47 enfants : 13 couchent la nuit ; Novembre- 20 enfants : 15 couchent la nuit ; Décembre- 20 enfants : 15 couchent la nuit.  

On peut se demander qui sont les enfants admis à la Crèche municipale de Dinan en janvier 1915. La directrice a fourni quelques précisions pour le Maire. Ces 16 noms correspondent probablement à ceux qui y passent la journée et la nuit. Enfants dinannais et émigrés y sont rassemblés.

Jules, 10 ans, émigré dont les parents ne sont pas encore retrouvés.

Marcelle, huit ans et demie dont le père est décédé à l'hôpital de Dinan, émigrée. La mère travaille chez un greffier

Adrien, 3 ans et sa sœur Zoé, 18 mois : émigrés, le père est au Front et la mère travaille à faire des ménages

Désiré 4 ans et sa sœur Lucienne, 6 ans : émigrés, le père est au Front et la mère à Dinan

Nestor 6 ans et son frère Raymond 3 ans : réfugiés belges, 6 enfants dans la famille, parents à Dinan

Raymonde, 5 ans : dinannaise, père au front, mère décédée

Anna, 4 ans et demie et son frère Emile : dinannais, père employé aux Bas-Foins, mère décédée

Madeleine 14 mois et Gabriel, 3 ans : dinannais. Le père attend son appel pour partir et la mère a abandonné les enfants

Henriette, Hélène et Georges : dinannais dont le père est au Front et la mère est employée à la blanchisserie de la crèche

 

Et en juillet 1915, c'est la fin de la crèche...

Dans un courrier du 2 juillet 1915, le Maire annonce la mauvaise nouvelle à Mademoiselle Dagorne : 

« Je crois devoir vous informer que les crédits dont je dispose pour le fonctionnement de la crèche ne permettront pas de la continuer après le mois de juillet.

Je vous serais en conséquences obligé de bien en aviser les familles intéressées ainsi que le personnel spécialement affecté à cette œuvre.

Au cas où il se trouverait des enfants n'ayant pas de parents susceptibles de les recevoir, vous voudrez bien me les signaler afin que je prenne à leur égard les mesures nécessaires.

Permettez-moi, Mademoiselle, de vous exprimer toute ma reconnaissance et mes remerciements pour le dévouement et l'esprit de sacrifice dont vous avez fait preuve pour mener à bien cette œuvre si intéressante et que je regrette de voir disparaître...»

 

D'après les notes laissées par Marie Dagorne, les derniers objets restants sont rendus à leurs propriétaires le 10 novembre 1915. Cette généreuse directrice n'oubliera pas les enfants de la crèche, en particulier la plus jeune fillette, qui vivra dorénavant sous son toit...

Cette histoire méconnue de la crèche révèle que la ville s'est montrée comme une terre d'accueil. Certains de ces réfugiés s'y installeront d'ailleurs définitivement. C'est également  un bel exemple du rôle des femmes pendant cette guerre et de la générosité de nombreux dinannais. 

Même en 1917 quand les réfugiés continuaient d'affluer, la directrice au grand coeur accueillait tous ceux qu'elle pouvait, au delà du raisonnable : parfois jusqu'à 150 qui restaient de 3 à 10 jours et à qui elle fournissait les trois repas quotidiens et les soins nécessaires !

 
L'histoire de cette crèche est racontée plus en détail dans un autre article de ce blog, en cliquant ici
 
 
Marie Dagorne et les oeuvres péri-scolaires
 
Marie Dagorne accueillera ensuite à la Garaye les Assemblées générales des  pupilles de la Nation. 
 
En tant que directrice, elle est restée 20 ans à son poste à la Garaye, habitant dans l’école jusqu’à la fin de sa vie en 1923. 
 
Ci-dessous, la tombe de Mme Dagorne est assez facilement trouvable dans le cimetière de Dinan. Elle se situe dans le 3e carré à gauche de l'allée centrale (carré 5 N°163)
 

Tombe de Marie Dagorne au cimetière de Dinan.


Une rue marie Dagorne à Dinan. 2012

Une nouvelle rue a vu le jour à Dinan en 2012, entre l'école de La Garaye et le parc du Comte de la Garaye. J'ai proposé, début 2012, un dossier argumenté à la commission municipale qui attribue les noms pour l'appeler "Rue Marie Dagorne". Une mention "directrice de l'école maternelle de Dinan de 1903 à 1923" sera ajoutée. 
 
La commission puis le conseil municipal de Dinan au mois d'avril 2012, ont accepté cette proposition. Ainsi, une personnalité importante de l'enseignement à Dinan se trouve honorée.
 
Ouest-France avril 2012

Le Petit bleu avril 2012  


Voici quelques éléments du dossier que j'ai déposé à la mairie de Dinan, pour que la nouvelle rue créée entre l’école et la résidence du Parc du comte de La Garaye, s’appelle rue Marie Dagorne (du nom de la directrice de la maternelle entre 1903 et 1923) 

 

Une rue « Marie Dagorne » à Dinan


Cinq raisons peuvent justifier que l’on donne le nom de Marie Dagorne à la rue qui se trouvera entre la rue de la Sagesse et celle de la Garaye. 


1.Mlle Dagorne a été la première institutrice de l’école maternelle de Dinan au moment de la laïcisation en 1903. Les noms de la Garaye et la Sagesse rappellent les fondations de l’école au 18ème et 19ème siècle. Celui de Mlle Dagorne évoquerait une figure de l’école publique. Son nom serait un trait d’union entre la Sagesse et la Garaye. 


 

2. Elle était très appréciée par ses contemporains. Les qualificatifs que l’on peut lui attribuer sont : le dévouement (elle travaillait sans compter, bien au-delà du temps de classe, pour le seul bien des enfants); la tolérance (pas de polémique dans la période de laïcisation de l’école) ; la générosité (elle a même recueilli une orpheline pendant la guerre de 14-18). 


Dossier personnel. Archives départementales. Janvier 1914
 

3. Elle a donné entière satisfaction sur le plan professionnel. Arrivant pourtant dans des circonstances difficiles ( Laïcisation en septembre 1903), elle a su inspirer la confiance aux familles.

4. Son rôle pendant la période de la Guerre 14-18 a été remarquable dans l’école maternelle alors transformée en crèche, ouverte 24h sur 24. Elle accueillait aussi à la Garaye les Assemblées générales des pupilles de la Nation. Ce serait, à travers elle, un hommage rendu à toutes les femmes qui se sont dévouées pendant ce conflit. 

 

29 décembre 1923. L'éclaireur dinannais

5. Elle est restée 20 ans à son poste à la Garaye, habitant dans l’école jusqu’à la fin de sa vie. Cette rue ne peut pas être plus près de là où elle a vécu.

De nombreux extraits du livre « La Garaye, une école à Dinan » illustrent différents aspects de sa vie.

Etat civil Dinan. Registre des décès. Marie Dagorne
 



C'est la première fois qu'un livre sur l'histoire de Dinan parle de la rue Marie Dagorne dans le livre écrit par Pierre-Jean Yvon, Dinan cité médiévale aux Éditions Pascal Galodé (novembre 2014). L'auteur a certainement trouvé sur ce Blog les renseignements nécessaires...Merci à l'auteur pour ce coup de projecteur ! Le livre est de qualité avec de belles illustrations...

Voici l'extrait :
 
 "Située près des remparts, le groupe scolaire a pris le nom de la Garaye, rappelant l’école qui s’y tenait au XVIIIème et XIXème siècles. Elle est délimitée par la rue de la Sagesse près de l’ancien couvent des Ursulines, et la rue Marie Dagorne (nom donné à la rue en 2010).

Marie Dagorne (1865-1923), directrice de l’école maternelle de la Garaye de 1903 à 1923, était présente au moment de la laïcisation de l’établissement scolaire (septembre 1903). 
Dans cette période trouble, elle fit preuve de beaucoup de tolérance et sut garder la confiance des familles. Pendant la guerre 14-18, l’école fut transformée en crèche et la directrice eut une nouvelle fois un comportement exemplaire…"





Le choix de ce nom de rue a été évoqué dans un article de Capucine Gilbert dans Ouest-France le 7 mars 2022 sous le titre : Comment la Ville choisit-elle le nom des rues ?

Ouest-France 7 mars 2022

 

 

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Sources 

Archives municipales, dossier 2225.

Archives départementales. Naissance: page 202 sur 265

Généanet, fiche généalogique sur Marie Dagorne ici

L’Éclaireur dinannais 1914 (5, 28 septembre) -1915 (4 avril, 6 juin...).

« La Garaye, une école à Dinan », édition Le Pays de Dinan 2008

Cette histoire de la crèche en 1914 a été racontée dans un article publié dans Le Petit bleu le 11 novembre 2010.

 

 

 



 

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