jeudi 20 mars 2025

Jeannine Koskas, née Eskenazi (1924-2002), institutrice à Dinan. Pauline et Micheline Eskenazi

La famille Eskenazi à Dinan a cette particularité d'avoir vu ses 3 filles, nées après la guerre 14-18, devenir institutrices publiques. C'est aussi un exemple d'une famille juive persécutée par les mesures antisémites pendant l'Occupation.

Jeannine Eskenazi

Jeannine (Augustine) Eskenazi est née le 24 juin 1924 à Dinan. Elle fait sa scolarité primaire à l’école publique de La Garaye. 

On la voit sur la photo ci-dessous en classe de Cours préparatoire en 1928-1929 à La Garaye (remarquez, sur la gauche, la porte ouverte de la tourelle qui a été détruite par la suite).

Paulette est la 5e au premier rang, assise. Photo 1928-1929 La Garaye

A 12 ans, elle obtient une mention « Très bien » au Certificat d’études en 1936. 


La carrière d’enseignante de Jeannine Eskenazi
Les postes occupés par Jeannine Eskenazi sont dans l'ordre : Moulicent-du-Perche (Orne) 1944, BM Cherbourg 1946, Nabeul (en Tunisie) jusqu’en 1960, Broons 1960 à 1964 (en même temps que son mari).

Henri et Jeannine Koskas Ouest-France 1961
C'est à Dinan que Jeannine Koskas va occuper des postes de direction dans trois écoles différentes.

Tout d'abord, elle enseigne à l'école Chauffepieds de 1965 à 1971 dans la classe de Certificat d’Études pour les filles. Elle occupe la classe de CM1 et le poste de directrice.

Une ancienne, Brigitte Morice, se souvient d'elle à Chauffepieds "C'était une petite femme toujours avec un chignon et des talons. Elle était très stricte." (Forum Facebook janvier 2024)
Jeannine Koskas devient ensuite directrice de l’école primaire mixte de La Garaye en septembre 1971 au départ en retraite de Mlle Le Corguillé. Elle a, dans un premier temps, la classe de CM1 puis la classe de fin d'études.

Enfin, elle va partir comme directrice pour l'école de la Ruche qui vient d’ouvrir en 1976. Elle effectue le déménagement du primaire de La Garaye vers La Ruche, ce qui n’était pas une mince affaire.
Elle est nommée Chevalier des Palmes Académiques en 1978. Elle exerce jusqu’en 1979 où elle fait valoir ses droits à la retraite.


M. Koskas

Le mari de Jeannine Eskenazi obtient sa mutation à Dinan, vraisemblablement en 1965, au C.E.G de Broussais après être passé par le C.E.G de Broons. Une de ses anciennes élèves à Dinan, Nicole Feucher, se souvient de lui :
"J'ai eu M. Koskas comme professeur de géographie en classe de 3ème au C.E.G (Collège d'Enseignement Général) rue Broussais (année 1966-1967). Un très gentil et très bon professeur, les élèves l'aimaient beaucoup. Il suçait toujours des petits carrés de Zan pendant les cours. C'était pour combler les cigarettes car il fumait beaucoup au dehors du collège. Ça nous faisait sourire de le voir découper ses petites plaquettes pour manger sa réglisse.
Il avait la passion des cartes de géographie de la France. Et il nous en faisait de très belles. J'ai vraiment un bon souvenir de lui
." (Forum Facebook Le Pays de Dinan autrefois, janvier 2025)

La famille Eskenazi

La famille Eskenazi arrive à Dinan en 1924. Un article dans Ouest-Eclair en 1934, relatant un fait divers, parle de "M. Eskenazi, un marchand forain bien connu dans la région dinannaise".

1934 27 décembre Ouest-Eclair

Ci-dessous, voici les 3 sœurs Eskenazi qui feront de belles études à Dinan. On a à partir de la gauche Paulette 6 ans, Micheline 9 ans et Jeannine 2 ans, la plus petite.

1925 Les 3 soeurs Eskenazi. Collection RF

Paulette en 1932

La famille s'installe d'abord rue Even à Dinan mais le port d’attache de la famille Eskenazi (comme on peut le trouver dans le recensement en 1946), c’est le 3 rue du Quai. Les 3 soeurs, déjà institutrices,  résident avec leurs parents. 

Famille Eskénazi rue du Port à Dinan. Recensement 1946. Vue 29

Marie Marais, née le 19 mai 1887 à Honfleur, est la mère des 3 enfants mais elle n’a pas procédé à un mariage légal. En 1942 elle exerce la profession de ménagère.

La question de la religion juive

Le recensement de 1946 fait apparaitre que le père de famille s’appelle Moché mais se fait appeler Michel pour ne pas attirer l'attention, sans doute, en portant un prénom juif. Cette famille d'origine juive du côté paternel a été victime de persécutions antisémites du régime de Vichy. Les Eskenazi ont reçu les étoiles jaunes, comme l'atteste un document daté du 6 juin 1942 qui stipule que Jeannine Eskenazi a reconnu "avoir pris connaissance de l'ordonnance allemande du 29 mai 1942, et avoir reçu 3 insignes en échange d'un point de la carte textile". 

La 8ème ordonnance du 29 mai 1942 impose à tous les Juifs âgés de plus de 6 ans habitant en zone occupée, le port de l’étoile jaune. Le port de cet insigne constitue un risque pour les personnes qui l'arborent et stigmatise une catégorie de population uniquement par rapport à leur religion.


Dans les premiers jours du mois de juin 1942, les Juifs doivent retirer, dans le commissariat de police dont dépend leur domicile et contre la remise d’un point textile cet insigne en trois exemplaires et le porter de manière visible sur le coté gauche de la poitrine. Mais ce n'est pas parce que les membres de la famille ont reçu une étoile jaune qu'elles ont été portées car les filles ont finalement été reconnues comme étant non-juives en août 1942 (mais pas leur père).

1942. Archives départementales. Document transmis par Jimmy Tual


De nombreux renseignements sur l’état civil de la famille Eskenazi proviennent d’un dossier daté de 1942 et ayant trait aux obligations des juifs pendant l’Occupation. La famille a alors été contrainte de fournir de nombreux documents pour prouver leur identité et leurs antécédents juifs ou non. 

Archives départementales.
 

Moché Eskenazi, le père de famille, est né le 15 avril 1896 à Andrinople en Turquie. Il arrive dans le département des Côtes-du-Nord le 23 juin 1923. Il est de religion juive.
Selon les règles en vigueur en 1942, son épouse Marie Eskenazi doit s’employer à fournir aux autorités des certificats de baptême et mariage sur trois générations et termine un courrier du 4 juillet 1942, adressé au Préfet, en écrivant : "J’espère que cela suffira à établir que mes enfants ne seront pas considérés comme juives".
Après enquête, le Préfet finit par donner son accord à la proposition suivante : « Après examen du dossier joint, les enfants Eskenazi issus seulement de deux grands parents juifs ne sont pas israélites. Il semble, dans ces conditions, que les insignes adressés par nos soins le 1er juin dernier pourraient leur être retirés. Ainsi les autorités allemandes pour cette inscription avaient été faites à tort. »
Le 12 août 1942 le Préfet fait suivre sa décision à « Monsieur le Chef de la Police Allemande 3 boulevard Lamartine Saint-Brieuc » : « J’ai l’honneur de vous faire parvenir, sous pli, les fiches de radiation concernant les nommées : Eskenazi Micheline, Eskenazi Paulette, Eskenazi Jeannine, domiciliées à Dinan, qui vous ont été signalées par erreur comme étant Israélites. De l’examen du dossier et des documents adressés, il résulte que ces personnes ne sont pas issues de trois grands-parents de pure race juive. Elles ne peuvent donc être considérées comme juives au sens de l’ordonnance allemande du 26 avril 1941, et par courrier de ce jour, je prie M. Le Sous-Préfet de Dinan de bien vouloir leur retirer les insignes qui leur ont été adressés le 1er juin dernier. »

La procédure suit son cours et le 16 août 1942, le commissaire de Police de Dinan transmet au Sous-Préfet que « neuf insignes pour juifs » sont repris aux trois enfants Eskenazi selon ses instructions.
Après avoir réglé le problème de ses filles, Madame Eskenazi ne va pas s’arrêter là et elle va chercher à protéger son mari. Le 1er septembre, elle adresse un courrier au Sous-Préfet de Dinan dans les termes suivants : « Mon mari, à cause de sa religion, ne peut trouver de l’embauche nulle part. Il a peur…Aussi je vous serai reconnaissante si vous pouviez obtenir de Monsieur le Préfet ou de la Kommandantur de St Brieuc une dérogation en sa faveur en ce qui concerne le port de l’insigne ou bien alors l’autorisation de travailler dans les chantiers allemands, puisque là seulement il y a du travail. »
La réponse de la Préfecture ne se fait pas attendre et le 8 septembre les services concernés font savoir qu’il ne leur appartient pas de dispenser son M. Eskenazi du port de "l’insigne spécial des juifs" mais que cette demande doit être adressée à la Feldkommandantur.

1942 Dossier Eskenazi. Archives départementales 22

Les pièces faisant état d'une réponse ne figurent pas dans les archives mais la demande semble bien illusoire avec le recul de l'histoire. Moché Eskenazi figure bien sur un document intitulé "État nominatif des juifs résidant dans le département des Côtes-du-Nord à la date du 1er avril 1944". Mais il n'a pas été déporté...

Archives départementales 5W194

Pour compléter ce dossier sur la famille Eskenazi pendant l'Occupation, vous pouvez consulter tous les documents numérisés en cliquant ici

La famille de Jeannine Koskas
Après son mariage avec Henri Koskas, Jeannine perd son nom de jeune fille. Henri Koskas est au instituteur. Avec son mari, elle aura trois fils, Yves, Jean-Pierre et Gilles.
En 1958, Michel, son père, décède dans sa 72e année.

Décès Michel Eskenazi, 28 mars 1958 Ouest-France

Jeannine Koskas décède en avril 2002 à l’âge de 78 ans.
Avis de décès 22 avril 2002 Ouest-France

Henri Koskas, son mari, est décédé en 2006 à Rennes et il est inhumé au cimetière de l’Est. "C'était un enseignant exceptionnel dont plusieurs de ses anciens élèves du collège de Broons (j’en faisais partie) gardent un souvenir ému", témoigne Janick Jaffrès-Botrel dans un courriel du mois de mars 2025.


Ouest-France édition de Rennes. 2006

 

Micheline Eskenazi (1916-2015)

Micheline Eskenazi est née le 21 décembre 1916 au Havre. Elle obtient le prix Néel de la Vigne en 1925 et son Certificat d’études à Dinan en 1928 avec une mention Bien. Elle se marie avec M. Chapron avec qui elle aura Jacqueline et Jean. Elle sera institutrice, comme ses deux soeurs.
Elle est décédée le 6 avril 2015 à l’âge de 98 ans et repose au cimetière de Dinan.

19 avril 2015 Ouest-France


Paulette Eskenazi (1919-2020.)

Paulette Eskenazi en 2007. Photo RF

Paulette Eskenazi est née le 27 septembre 1919 au Havre en Seine-Maritime. Elève à l'école des filles de La Garaye, elle obtient son Certificat d’Études à Dinan en 1931. Elle fut elle aussi, comme ses soeurs, directrice d'école publique. Paulette pouvait s'engager politiquement, ainsi  on la retrouve sur la Liste Rassemblement des Forces de Gauche, avec Christiane Nennot (du Parti communiste) aux Élections Municipales de 1989 à Dinan.

Elle était venue assister en 2007 à la journée Portes ouvertes à l'école de La Garaye avec les anciennes élèves.

En 2007 à l'école de La Garaye, Paulette au milieu avec son écharpe bleue.

Un article du Télégramme lui a été consacré au moment de ses 100 ans !

Paulette Eskenazi chez elle pour son centenaire. 29 septembre 2019 Le Télégramme

"Vendredi, Paulette Eskenazi fêtait ses 100 printemps entourée de ses proches et des auxiliaires de vie du CCAS qui prennent soin d’elle depuis 20 ans. Née au Havre le 27 septembre 1919, Paulette est arrivée à Dinan en 1924. Si elle ne s’est pas mariée et n’a pas eu d’enfant, elle a tout de même été entourée de bambins toute sa vie professionnelle, puisqu’elle fut institutrice en école élémentaire durant plus de 35 ans". Le Télégramme

Paulette est décédée le 3 mai 2020. L'avis de décès était alors publié par Jacqueline Chaperon, sa nièce ; Yves, Jean-Pierre et Gilles Koskas, ses neveux.

Article de Richard Fortat, janvier 2025

 

Question aux lecteurs du blog

L'une des soeurs a logé un temps chez les Pelherbe à La Beauflais en Languédias pendant la guerre 39-45, mais laquelle ?

 
Si vous avez des commentaires ou des éléments pour compléter cet article sur les soeurs Eskenazi (en tant que voisins, amis ou famille), merci d'utiliser le formulaire de contact en haut à droite en laissant votre adresse mail...
 

Sources

Archives départementales. Recensement 1946. 

Archives départementales 5W194, documents de 1942 sur le port de l'étoile jaune transmis par Jimmy Tual. Voir son Facebook sur 1939-1945, Histoire et Mémoire dans les Côtes d'Armor, ici

Recherches personnelles dans les archives de Ouest-France.

Archives de l'école de La Garaye, photos de classes ; archives de La Ruche, registres.

Site Généanet, cliquer ici

Photo de 1925 transmise de Paulette Eskenazi en 2007.

Photo de 1928-1929, identification des noms par Paulette Rouéllé en 2007.

Mémorial de la Shoah, ordonnance de 1942, cliquer ici


Pour compléter cet article

Dossier sur la famille Eskenazi pendant l'Occupation, avec tous les documents numérisés, cliquer ici 

L'histoire de l'école de La Garaye à Dinan, cliquer ici 

L'histoire de l'école de Chauffepieds, cliquer ici 

L'histoire de l'école de La Ruche, cliquer ici


Retour vers le sommaire du blog de l'histoire des écoles de Dinan en cliquant ici

 

 

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