Le dossier personnel de l’instituteur Marcel Le Toiser est conservé aux Archives Départementales des Côtes d’Armor dans la série 1T. Il est très étoffé et pourtant cet enseignant n’aura occupé que trois postes de titulaire, après avoir exercé en 1931-1932 comme instituteur intérimaire à Trédarzec et Pontrieux : Instituteur stagiaire à Plougonver nommé le 16 octobre 1933 (il obtient son C.A.P dans cette école) puis, adjoint à Plougrescant nommé le 1 octobre 1934 avant d’arriver à Plounévez-Moëdec (22) le 16 septembre 1935.
L’essentiel de son dossier est consacré à ce qui est désigné comme « L’affaire Le Toiser ».
Archives départementales 22. Série 1T |
Une carrière dans l'enseignement
Mais revenons à ces premières années et feuilletons les pages du dossier…
Marcel Le Toiser est né le 1er avril 1907 à Perros-Guirec, école primaire à Perros, collège de Lannion et lycée à St Brieuc où il passe son bac philosophie en 1924.
En avril 1927, un document fait état de son parcours scolaire et de ses aptitudes avant d'être enseignant : il est mentionné par exemple que Marcel Le Toiser a représenté le Lycée de St Brieuc au Concours général des Lycées de France. L'Inspecteur primaire de Lannion fait de lui un portrait élogieux, avec des annotations très personnelles : "Tenue et moralité excellentes"..."Il a beaucoup de jeunes amis à Perros ce qui dénote un caractère affable" et de conclure "Le candidat jouit d'une santé robuste".
D'autres documents évoquent la période où, par exemple, il était surveillant d'internat à Josselin et à Lannion en 1928.
Courrier de l'Inspection académique. AD22 |
Le 7 avril 1933 à Pontrieux, un rapport renferme les remarques des trois membres du jury qui lui font passer l’épreuve pratique et orale de son C.A.P. L’appréciation d’ensemble est positive : « Le candidat a du bon sens, un esprit vif et souple. L’épreuve orale est nettement à son avantage. » L’Inspecteur a également noté que lors de la leçon de géographie « des croquis habiles et évocateurs contribuent à donner du relief à une leçon que je souhaiterais mieux préparée… ». Marcel est repéré par ses talents dans le dessin, déjà !
Bulletin d'inspection Le Toiser, Plougonver 20 décembre 1933 AD22 |
Le 20 décembre 1933 à Plougonver le premier bulletin d’inspection n’est pas reluisant, les cours ne sont pas au point : « Il y a là un laisser-aller regrettable chez un jeune maître… » Et plus loin : « Le maître a l’élocution facile : je lui conseille de supprimer de son langage quelques expressions vulgaires qui n’ajoutent rien aux explications. » Heureusement, la leçon de dessin laisse une impression favorable : « Le maître à l’œil et conseille en passant auprès de chacun ». Mais cela ne rattrape pas l’appréciation générale de ce jeune maître qui « n’apporte pas à la conduite de sa classe toute l’attention nécessaire ». L’inspecteur escompte « un prompt redressement. »
Le 9 février à Plougrescant, l’inspecteur n’a pas une excellente impression de ce jeune maître : « Il a de l’autorité, la parole aisée, il dessine bien, toutes qualités pour réussir dans une petite classe ; mais son travail est trop improvisé et il faut bien le dire, pas assez consciencieux. »
Le rapport du 24 janvier 1939 à Plounevez-Moedec fait état de nets progrès : « M. Le Toiser connaît bien cette classe qu’il fait déjà depuis plusieurs années. Il s’intéresse à son travail et a le souci d’obtenir des résultats. Il écrit bien, dessine avec goût et ne manque pas de certains dons pédagogiques... »
Bulletin d'inspection Le Toiser, 9 février 1942 Plounevez-Moedec. AD22 |
Toujours à Plounevez-Moedec, le 9 février 1942, le rapport est favorable, et les dessins de Marcel Le Toiser y contribuent : « La classe est très bien tenue. Elle est ornée de manière originale, au moyen de dessins exécutés par le maître que je complimente pour cette réalisation ».
Marcel Le Toiser vers 1930. Photo site Le Toiser peintre |
Ce que l’on ne sait pas dans ces différents rapports c’est que le changement de poste de Plougrescant à Plounevez-Moedec n’est pas du fait de l’instituteur mais qu’il est le résultat d’une mutation disciplinaire qui nous ramène à la fameuse « Affaire Le Toiser ».
Une affaire qui fait désordre !
Le 15 août 1935, un premier rapport de gendarmerie décrit les faits et un autre est envoyé au garde des Sceaux par le procureur général à la cour d’appel de Rennes, le courrier est daté du 19 août.
On y apprend que Marcel Le Toiser, âgé de 28 ans, a créé un beau désordre à Perros-Guirec le 13 août à 19H30. Au volant de sa voiture, passablement excité, alcoolisé et accompagné du peintre Georges Connan, il a tourné autour du Casino en chantant l’Internationale et en criant qu’il fallait envoyer le colonel La Roque (Croix de Feu) au poteau… Il a été poursuivi par différentes personnes qui se sont senties provoquées et a dû s’enfuir, jusque chez son père, dans une course où il a dépassé les limites de vitesse, roulé à gauche et a occasionné des dégâts sur une voiture. « Un rassemblement d’environ 150 personnes ne tarda pas à se former, d’autant plus que Le Toiser Marcel provoquait la foule en chantant l’Internationale et en criant « A bas la France, à bas les Français, je leur chie (sic) dessus ! On en a marre de faire la guerre pour la France ! La France on l’emmerde (sic) ». Le courrier précise que « Les propos orduriers et d’inspirations antimilitaristes…doivent être signalés à M. Le Ministre de l’Education Nationale qui appréciera la suite qu’ils comportent au point de vue disciplinaire. »
Courrier du Préfet, affaire Le Toiser, 23 août 1935 AD22 |
D’autres autorités s’émeuvent comme le Préfet qui demande à l’Inspecteur d’académie de réagir (courrier du 23 août ci-dessus). L’Inspecteur réagit le 28 août en notifiant à Marcel Le Toiser que « sa présence dans la région trégoroise n’est plus possible ». Il demande à l’instituteur qu’il fasse lui-même une demande de mutation avant le 2 septembre, avant d’engager si nécessaire un déplacement d’office. L’instituteur fait profil bas, exprime ses regrets pour son attitude et ses paroles mais espère de l’indulgence de la part de l’inspecteur et rappelle que les torts sont partagés…Le père de Marcel Le Toiser, directeur honoraire de l’école de Perros, prend également sa défense dans une longue lettre adressée à l’Inspecteur en donnant sa version des faits. Il présente l’affaire comme le sursaut des défenseurs de l’école laïque face à la montée de l’extrême droite à Perros après la création récente d’une section locale des Croix de feu et pointe surtout du doigt la violence des personnes qui ont cherché à se faire justice eux-mêmes… L’inspecteur ne cède pas et insiste, auprès de M. Le Toiser père, sur le fait que la conduite et les propos tenus « portent un tort moral grave à l’Ecole Laïque », d’autant plus qu’une école libre de garçons s’apprête à être fondée à Perros.
La mère de Marcel Le Toiser prend également la plume, sans en parler à son mari (!) et s'adresse à l'Inspecteur pour l'appeler à adoucir la sanction...
Mais pendant ce temps, la machine est en route et le 9 septembre, Mario Roustan, le Ministre de l’Éducation, demande à l’Inspecteur de procéder à une enquête administrative sur les faits reprochés à Marcel le Toiser… Ce rapport conduit le Ministre à approuver la fermeté de l’inspecteur et lui demande de signifier à l’instituteur que « le prochain manquement qui pourrait lui être reproché sera sanctionné par la révocation » (courrier du 16 septembre). L'Inspecteur lui donne plusieurs écoles possibles et le 27 septembre, Marcel Le Toiser est déplacé à Plounévez-Moëdec selon son choix.
La presse va également avoir son rôle. Dans son édition du 27 août l’Ouest-Journal donne la parole à Marcel Le Toiser pour qu’il s’explique. Dans un premier temps il « proteste quand on parle d’ébriété ». Le reste des faits est minimisé mais « M. Marcel Le Toiser avoue qu’il eut des mots plutôt malheureux à l’égard de ses poursuivants qui n’étaient pas de la région bretonne »…
24 août 1935 Ouest-Journal. AD 22 |
Un autre article paru dans Ouest-Eclair sera à charge, donnant surtout la parole à ses adversaires…
De toute cette affaire que reste-t-il ? Un procès dont le tribunal de Lannion va seulement retenir, le 1er avril 1936, la culpabilité de Marcel le Toiser pour le délit de fuite, excès de vitesse, dépassement dans des virages, la circulation en état d’ébriété n’est pas retenue.
Pendant l'Occupation
Les documents suivants cette « affaire Le Toiser » sont beaucoup plus sérieux que les frasques d’un jeune homme bouillonnant.
Un premier rapport daté du 3 juin 1941 est signé par le Commissaire spécial et il est adressé au Préfet. Il indique qu’après avoir été militant du Parti communiste, Marcel Le Toiser « a changé d’opinions politiques. Il est considéré comme un autonomiste notoire. Il ne cache pas, ma-t-on dit, qu’il est membre du P.N.B, mais il ne fait pas de propagande ouverte…
Depuis l’Occupation, Le Toiser, a eu l’autorisation de circuler avec sa voiture automobile. Je n’ai pu savoir de qui il tient cette autorisation…En dehors de ses opinions politiques, Le Toiser Marcel est considéré comme un bon instituteur…Il n’est pas dit qu’il ait manifesté ses opinions autonomistes devant ses élèves ». » Quelques jours plus tard, l’Inspecteur primaire de Lannion confirme la neutralité politique de Marcel Le Toiser.
Un nouveau rapport est établi le 8 septembre par le Commissaire spécial et adressé au préfet : "J’ai appris de source sûre, au cours de mon enquête, que ce militant autonomiste est l’auteur de dessins signés « Barazer » et paraissent dans « L’heure bretonne »". Pour le reste, la neutralité de l’enseignant n’est pas mise en cause.
Daté du 14 avril 1944, cette lettre du ministre Secrétaire d’État à l’Éducation Nationale est adressée à l’Inspecteur d’Académie des Côtes-du-Nord. On y apprend qu’il a donné son agrément à la désignation de M. Le Toiser comme correspondant départemental du Ministère de l’Information pour la propagande dans l’enseignement. Il est demandé à l’Inspecteur : « Je vous prie de lui faciliter la tâche dans toute la mesure du possible et de me faire part des observations que vous pourriez avoir à formuler sur son activité. »
Le Toiser correspondant départemental,14 avril 1944. AD22 |
Un mois avant Marcel Le Toiser avait obtenu l’autorisation de se rendre à un stage au Mont-Dore dans ce cadre, mais avait informé l’Inspecteur qu’à son « grand regret » il lui était impossible de s’y rendre.
16 mars 1944. Lettre de Marcel Le Toiser. AD22 |
Ces documents sont des éléments à charge et viennent conforter ce qui lui a été reproché. Le dossier complet instruit à l’encontre de Marcel Le Toiser lui vaut, à la Libération, d’être détenu au camp de Langueux et d’être condamné par la Chambre civique, le 22 janvier 1945, à la dégradation nationale et à dix ans d’interdiction de résidence dans les départements du Finistère et des Côtes-du-Nord « pour avoir adhéré au Parti National Breton et s’être livré à une certaine propagande en faveur de ce parti ». Il sera réhabilité en 1949 et se consacrera désormais à la peinture et à la sculpture.
L'âge de la retraite
Mis à la retraite sans pension en 1944, Marcel Le Toiser va effectuer, sans succès, des démarches pour faire valoir ses droits à une retraite en 1953, en 1955 puis en mars 1968.
Demande de liquidation de pension. Le Toiser. 28 octobre 1953. AD22 |
Ainsi, après avoir parcouru le dossier administratif de Marcel Le Toiser, nous pouvons avoir un éclairage sur son engagement professionnel et sur des évènements singuliers qui y sont rattachés.
Sources
Dossier personnel Marcel Le Toiser, série 1T, archives 22.
Site sur l'oeuvre de Marcel Le Toiser, cliquer ici
Sur la polémique concernant Le Toiser collaborateur, lire l'article du Trégor en octobre 2023, en cliquant ici
Marcel Le Toiser. Un peintre à Perros-Guirec. Denise Delouche. Editions "A l'ombre des mots".
Retour vers le sommaire du blog des écoles de Dinan en cliquant ici
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire